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  • Le psy cause

Fin de thérapie, allez ouste !

L'autre jour, je disais à une patiente " Mais vous allez bien en fait, ca a quel sens qu'on continue à se voir ?". Enfin, pour être plus exact, je me surprenais à le dire. D’où on dit un truc pareil ? En plus je récidivais, j’avais dit un truc similaire deux semaines plus tôt à une autre patiente !


Déjà que le modèle économique du psy est un désastre : on voit les gens jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin de nous voir, si en plus il faut être actif là dedans, où va-t-on ma bonne dame ? Qu’est ce qui me prenait ?


Si je dois essayer de comprendre, il faut développer. Prenons la première patiente. Après un temps où je l’avais vu une fois par semaine, c’était désormais, à sa demande, une fois toutes les deux semaines. Ca durait comme ca, elle venait m’exposer son quotidien, je tachais de trouver un angle de réflexion, et on voyait ce que ca donnait. Mais à vrai dire, ca ne donnait plus grand-chose. On tournait en rond. Elle avait enfin trouvé un job en rapport avec ses études après deux ans d’errance salariale, sa vie amicale était plus en ordre, elle se sacrifiait moins pour elle, sa vie amoureuse tenait la route.


Oh, certes, elle avait toujours des soucis avec sa mère dépressive qui était toujours partante pour sortir le drapeau victimaire, elle avait ce coté battant de ceux qui ont trop souffert jeune, où il ne faut rien demander à personne, et parfois elle se servait des idéaux de l’époque pour sadiser son entourage qui ne serait pas du coté du bien - mais c’était de bonne guerre, ils étaient un peu bouchés sur d’autres choses.


Des problèmes ordinaires qui relèvent d’un caractère et d’une histoire de vie. J’avais bien essayé d’aller fouiner là, mais sa mère gardait un coté trop idéalisé pour l’attaquer et quand à sa détermination à ne jamais demander d’aide, ca fléchissait un peu, mais point trop n’en faut. Quand au sadisme relatif sur son entourage, elle en voyait bien certains contours, mais ca ne l’intéressait pas vraiment. Ni ne lui posait plus de problèmes que ca. Au plus ca animait des diners de famille qui se seraient probablement révélés assez mornes sans.


Donc elle venait. On jouait le jeu, essayant d’être de bonne volonté. Pas grand-chose n’en sortait. On a du tourner en rond trois mois comme ca. A vrai dire, je m’ennuyais. Alors on dira ce qu’on voudra. La vulgate analytique avancera que l’inconscient à ses temps d’ouverture et d’autres qui sont plus verrouillés. Certes. Mais elle était passée à une fois toute les deux semaines, la grande odyssée ne l’intéressait pas, elle était venue pour un mal être ponctuel, ca allait mieux, c’est tout. Il est probable que si je m’ennuyais, elle aussi. Sa réaction a d’ailleurs été assez notable : « Bah je trouvais aussi que j'allais mieux, mais ca fait du bien que vous le disiez ! » Elle éclairait assez ce qui se jouait pour elle à venir me voir. Elle avait entendu toute son enfance qu’elle était le problème, le dispositif, la faisant venir, lui évoquait la même chose. Que je lui dise que ce n’était pas le cas la soulageait. Ca la sortait de la répétition.


Alors certes, on aurait pu repartir pour un tour rien que sur cet échange, mais on a préféré arrêter là. Elle reviendrait si le malheur devenait ingérable, là on avait fait le tour.


Et que dire de cette autre patiente à qui j’avais tenu des propos similaires deux semaines plus tôt ? Le déclencheur n’avait pas été l’ennui cette fois. J’avais déjà fait un suivi de six mois un an auparavant. Qui s’était arrêté par manque d’argent, mais avec quelques progrès. D’une pente assez dépressive, le confinement l’avait laissé sur les rotules et on était reparti pour un tour. Elle n’avait plus gout à rien, n’arrivait plus à bosser. Là aussi, les choses étaient un peu remises en ordre.


Au détour d’une phrase, elle se moque d’elle « Regardez moi, je suis venu parce que j’allais me suicider, et je vous parle de mes petites misères avec mon patron ! ». C’était vrai, depuis un temps, la débâcle de la vie avait repris des proportions plus ordinaires. Là aussi, ca ne signifiait pas qu’on pouvait pas travailler là-dessus. On le faisait d’ailleurs, sur sa propension à ne pas s’écouter, sur sa manière d’être de l’ancien monde, qui ne manie pas l’hypocrisie d’entreprise comme on respire, sur sa fureur envers ses collègues. Mais tout ca lui semblait dérisoire. En même temps, que dire face à son histoire de vie ? Quand on a fui l’URSS sans papier, rejoint l’occident pour être confronté à la misère la plus crasse avant de pouvoir s’élever dans la société, qu’on a eu une famille maltraitante au possible, bref que l’histoire nous a chahuté violemment, des tracas de bureau, c’est assez dérisoire.


Donc à elle aussi, je lui ai proposé d’arrêter. Enfin, pas tout à fait. Considérant qu’elle allait mieux mais qu’elle n’était pas à l’abri d’une rechute, je lui ai proposé qu’on fasse un rendez vous de contrôle deux mois plus tard. Qu’on ne laisse pas les choses pourrir comme ca a avec ce confinement. Dans l’immédiat, je considérais que je ne pouvais pas faire plus pour elle. Cette attitude, de garder un lien de loin en loin me parait même plus juste que de tirer sur la corde dans le présent quitte à la dégouter de venir les fois où elle sera dans le besoin.


Qu’est ce que je dois comprendre de ces deux situations alors ? Déjà qu’elles sont très loin de la manière dont moi j’ai investi la thérapie. J’y suis resté une quinzaine d’années, avec des pauses, certes, mais quand même. La débâcle était assez générale et nécessitait un travail de dentelle. J’ai des patients comme ca, que je suis depuis un certain temps maintenant. Des deux évoquées plus haut, ce n’était pas le type de demande.


En fait, c’est ca ! Il y a deux types de demandes. Celle où les patients viennent en souhaitant résoudre un souci particulier, et une fois celui-ci disparu, ils prendront leur envol et celle où il s’agit d’un état plus général de débâcle, où c’est le lien à l’autre dans sa globalité qui doit être revisité. Et ca sera fichtrement plus long ! La première, en souhaitant ne venir qu’une fois toutes les deux semaines, indiquait où elle se situait. La deuxième, plus tempétueuse, l’indiquait par le sarcasme.

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