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  • Le psy cause

Être ou ne pas être, un psy pour tous

J’ai envie de continuer un peu le thème des limites du boulot de psy.

Hier j’ai viré un patient. Gentiment hein, en lui disant que le moment n’était peut être pas le bon pour une thérapie, ou que je n’étais pas la bonne personne. Mais qu’en l’état, je ne me voyais pas bosser avec lui.

Que je vous pose un peu le contexte. Il était venu me voir à la sortie du confinement, dans un état épouvantable. Il avait eu des problèmes respiratoires qui lui avaient donné des angoisses pas possibles. Avait il ou non le COVID ? Il tenait un journal très fourni, au jour le jour, de ses états. Son corps est -il silencieux ? Quelle est cette gêne ? Pourquoi cette petite douleur ? Toute sa vie pendant le confinement s’était réduit autour de cette question, de cette écoute angoissée, hypocondriaque de son corps. D’autant que le contexte favorisait cette ambiance : une maladie dont on ne sait rien, qui touche les poumons, mais hop, un nouvel article dit que ca touche aussi le cœur, les poumons, le cerveau. L’inconnu est à son maximum, la peur sociale se double de la peur de mourir dans l’instant. Y a de quoi suffoquer. Petit tuyau qui peut servir dans le métier : une crise d’angoisse, ca se manifeste par des difficultés respiratoires. Comme l’asthme. Ou comme … Le COVID. Bon, on peut aussi avoir des crises d’angoisses et le COVID. Et c’était un peu sa question : il se voyait déjà mort. A ses yeux, il avait eu le COVID. Certes, certes, le test lui avait indiqué que non. Mais peut on se fier à un test ? Il avait demandé à sa compagne d’en faire un. Mieux vaut être deux fois sur plutôt que de douter. Elle a refusé de rentrer dans son jeu. Déjà que pendant le confinement, de peur de ce qu’il allait y trouver, il lui faisait lire chaque article (ce qui devait faire beaucoup d’articles …), sa compagne était excédée de tout ça. De sa compagne, il m’en donnait une représentation de mégère la plus crasse. Peu soutenante, froide au possible, le nez plongé dans son portable. L’ambiance à la maison oscillait entre l’Alaska un jour de pluie et l’abattoir à poussins.

Donc cet homme abattu par la vie vient me voir. Je fais comme tous mes premiers entretiens, j’écoute sa plainte (autour de la maladie), j’essaye d’élargir à la question de sa vie en général. Où il en est ? Bon gré mal gré il me décrit une solitude assez inouï où il peut être entouré sans jamais parler de lui, une compagne avec qui il n’aurait jamais du rester (Mention spéciale, partir avec sa nouvelle copine à l’autre bout du monde et celle-ci profite d’un jour dans les vacances pour aller voir un amant de passage dans leur coin.), des parents qui veulent régenter sa vie. D’un point de vue clinique on est sur de l’obsessionnel de qualité. (Mention spéciale : ne pas vouloir que sa copine vienne à une soirée, hésiter à lui dire jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux dans le métro, s’étonner de sa réaction.)

Au vu de la gravité de ce qu’il me semble percevoir d’un état anxieux, je le reçois dans un premier temps deux fois par semaine. Il semble qu’avoir une oreille attentive sur ses affres médicaux lui convienne. Je m’emmerde un peu à vrai dire. Quand j’essaye de lui souligner que toute cette angoisse a peut être à voir avec la manière dont il se laisse mener par sa vie, mes propos lui glissent dessus. Aussitôt dit, aussitôt rien entendu.

Malgré tout, l’étau de son angoisse de mort semble se desserrer. Tant mieux, tant mieux. Il me dit qu’il souhaite passer à tous les 15 jours. C’est toujours problématique à mes yeux quand un frein pareil vient se poser en début de suivi. Je bosse très mal je trouve avec cette fréquence d’entretien. Les liens dans l’histoire du patient se font peu, ils ont tendance à répéter des évènements de surface. Mais bon, pourquoi pas. Je le revois. Il semble s’installer dans quelque chose de plus dépressif. Il a raté sa vie. C’est bien, on peut bosser avec la dépression ! Mais quand même, une fois pendant ces vacances, il a eu un peu mal au cœur. Evidemment le spectre de la mort n’ayant pas réellement cessé de roder pour lui, il s’est retrouvé directement en plein crise d’angoisse. Mal au cœur, suffocation, adrénaline comme un poulet dont on aurait coupé la tête se mettant à courir. C’est donc qu’il faut aller voir un cardiologue. J’essaye de nouveau de lui proposer une interprétation du coté de l’hypocondrie, tout en lui affirmant qu’il aille voir un cardiologue, sait on jamais. Arrive ce fatal dernier entretien où une fois de plus j’ai le droit au récit de ses maladies (il n’a pas eu un seul souci depuis 2 mois mais quand même). Il va aller voir son médecin, très bien rien n’a changé. J’ai la très nette impression que faire revenir les soucis du corps est une manière de clôturer tous les autres sujets. De toute façon, il n’a pas grand-chose à en dire : quand il sentait la mort arriver dans les prochaines semaines, il lui fallait tout résoudre dans l’urgence. Maintenant que le spectre s’éloigne, il peut de nouveau supporter sa vie telle qu’elle ne lui plait pas. Autrement dit, en filigrane, si j’attends qu’il change, je peux aller me faire foutre.

J’ai toujours en tête que l’inconscient produit des symptômes bizarres. En l’occurrence, que ses angoisses se manifestent sous l’angle d’une mort imminente ne me semble pas contradictoire avec l’idée de changer sa vie. Je m’explique. En fait, mieux, je vais l’expliquer avec le patient de la séance suivante. C’est un patient que j’ai depuis longtemps maintenant. Dans une période passée de sa vie, il a aussi eu des angoisses de mort. Obèse à l’époque, enkysté dans une vie qu’il détestait, se détestant tout autant. Et, alors qu’on reparle de cette période pendant la séance, il m’explique à quel point ses angoisses de mort l’ont poussé à reprendre sa vie en main. Qu’il a fallu au moins ca pour que les murailles de déni qu’il avait érigé autour de sa vie cède (C’est quand même quelqu’un qui a cessé de voir ses parents pendant plus années parce qu’il ne voulait pas qu’ils le voient dans cet état-là.) A vrai dire, c’est cette hypothèse que j’avais concernant le premier patient dont je parle : faute de pouvoir franchir les murs du déni, son psychisme, et probablement ce qu’il y a de plus vivant en lui est obligé de lui fournir des symptômes de plus en plus costauds. Mais peut être que je suis un psy de merde et que je n’ai pas su entendre ce qui relevait uniquement d’angoisses somatiques qu’il fallait accompagner. Pourquoi pas, hein. Peut-être que je suis complétement à la rue sur ce qu’il me demandait. Franchement, je ne pense pas, mais bon. Et puis c’est pas mon boulot à vrai dire. C’est le boulot des médecins, des psys en hôpitaux, pourquoi pas.

J’imagine déjà qu’on me renvoie à ce tour de passepasse psy « Mais si le patient paye et qu’il revient ! C’est qu’il y trouve quelque chose. » qui est un argument qui me laisse de toute façon assez perplexe. Si j’étais cynique, je dirais que tant que le psy touche son billet et que ca lui convient autant continuer. Mais mettons, pourquoi pas. Certains patients ont besoin de temps pour sortir de leurs modèles défensifs, d’autant qu’ils sont abimés depuis longtemps par la vie, qu’ils ne savent pas faire autrement. Je veux bien. Mais ca ne sera pas des patients pour moi.

Autant je n’ai pas grand mal avec la grande souffrance, les états limites qui sont toujours pas loin de se faire du mal, autant ce qui touche à la névrose obsessionnelle, cette manière d’annuler, de figer les choses, ce sadisme dans l’inertie, ce n’est pas pour moi. Je pense pas qu’on puisse rencontrer tous les types de pathologie et cette jouissance à mettre en échec l’autre me fatigue. Alors on peut gloser dans l’analyse, dire que je refuse d’être castré, dire que je lui ai renvoyé son sadisme en pleine face en lui disant qu’il valait mieux qu’on arrête. Pourquoi pas. Mais au-delà, par simple confort professionnel, je n’ai pas envie.

Malgré tout, je crois qu’il y a un tempo thérapeutique, dont sans grande surprise, c’est la souffrance d’abord, puis l’intérêt à changer qui donne le rythme. Faut il qu’on s’accorde un minimum. Il pataugeait un peu trop d’aise dans sa souffrance, malgré ses symptômes criants pour qu’on puisse travailler ensemble.

Comme je reste un professionnel, je lui ai refait un topo sur l’hypocondrie, en lui disant d’aller voir le médecin. Mais que si ensuite tout allait de ce coté là et que son corps venait le questionner de nouveau sur autre chose, il faudrait quand même bien envisager l’hypothèse psychologique. A voir s’il reviendra. Il semblait plus vouloir se diriger vers des trucs assez sur le corps type sophrologie. Je lui aurais bien fait lire le dernier bourquin de Carrère pour qu’il voit si la méditation empêchait la dépression, mais bon, ca lui aurait paru hors propos. Puis de toute façon, la psychologie, ca aide mais ca résout pas la dépression non plus. Alors bon.


N'empêche, si on considère que les premières séances que j'ai eu avec lui ont servi à faire retomber la pression, je peux dire que j'ai guéri quelqu'un du COVID. Et ça c'est la classe quand même. Même si cette personne avait pas le COVID.

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