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Télétravail, télédéprime

  • Le psy cause
  • 23 juin 2020
  • 4 min de lecture

Ça y est, le confinement est passé, les angoisses de mort se calment, et pourtant rien ne change.


J'ai eu deux patients qui avaient pris leur envol qui sont revenus coup sur coup. Leurs symptômes de retour, dépression pour l'une, coke et putes pour l'autre.


Difficile de leur trouver quelques déclencheurs précis à ces comportements. Mon dieu que réfléchir à un diagnostic est compliqué dans cette période. Tout se noie dans un flou, tout s'engloutit dans l'informe.


Mais je suis un psy obstiné, je cherche. Allons y pour passer la vie en revue, comment ça va le moral, les amis, les amours, le travail, le quotidien, et comment vous avez vécu le confinement. On fait le grand tour !


On ne trouve rien de particulier dans tout ce qu'ils me décrivent. Normal vous me direz, s'ils savaient de quoi ils souffraient ils auraient pu changer de direction.


Du coup je me suis mis à bidouiller un truc avec eux. Ils font parti de ces gens dont les entreprises, par mesure sanitaire, les ont mis en télétravail forcé. Ca commence à durer un peu maintenant, depuis 4 mois, cette affaire. Un tiers d'année à ne presque pas quitter son domicile ! À avoir son compagnon comme amour, ami collègue de bureau, persécuteur quand ne travaille pas assez, gêneur du simple fait qu'il respire. 4 mois, merde !


Ces deux patients ont quand même comme point commun d'avoir des dispositions à la dépression et à s'appuyer sur l'environnement extérieur. Ironiquement, ils n'aiment pas beaucoup leurs collègues de bureau, mais avoir un lieu où l'on peut mettre sa haine en marche est quand même sympa, au final. C'est aussi tout l'arsenal des rituels, prise de métro, passer les portes de chez soi ou du bureau pour ne plus penser à ce qu'on quitte. C'est au final tout un monde qui leur a été enlevé. Et ils s'y sont pliés.


J'ai eu d'autres patients qui ont fait le forcing à la fin du confinement pour que les entreprises les réintégrent au moins quelque jours par semaine. Mais ceux auxquels je pense sont célibataires. Le spectre de la solitude n'est pas celui de la dépression, ils voyaient trop bien ce qui les attendaient. Alors que les deux dont je parle avant, que dalle, ils ont rien vu venir. Enfin si, ils ont vu leurs cortèges de symptômes, branlettes compulsives pour l'un, incapacité au moindre effort pour l'autre, mais ca ne les a pas assez alertés.


Alors les voilà de retour chez moi, assez mal en point. À essayer de leur bidouiller des espaces différenciés, des lieux de respirations. Et vas y que l'un va bosser dans un café, que l'autre va retourner sur les lieux de sa boîte malgré le flou artistique qui règne.


J'ai lu que les entreprises comptaient généraliser, sur volontariat, le télétravail. Après tout, pourquoi s'emmerder à payer un loyer quand on peut faire bosser les gens de chez eux. On passera par perte et profit tout le lien social que ça apporte. Nique, on est pas la pour que les gens parlent entre eux. Est ce qu'on a déjà vu une machine se plaindre de ne pas être en lien ? Alors faites un effort, la productivité est à votre portée.


Quand j'écoutais l'un des deux me parler de l'absurdité du télétravail, me venait des fantasmes à la con. Abîmer son ordinateur portable de sorte à ce que son entreprise nous en renvoie un autre. Deux jours de travail de perdu. Au moins une demie journée (les batards pourraient dire d'aller à la fnac la plus proche pour en acheter un autre). Autre moyen, comme tout est virtualisé sur le cloud : Pretexter une coupure de connexion internet pour se dorer la pillule pendant une semaine ! Quoique même là ces batards diraient d'utiliser la 4G du portable. Même les rêves de sédition deviennent de plus en plus corsetés. Si vous avez des idées pour une guérilla dans la mauvaise foi du télétravail, je suis preneur !


Je lis Baudrillard ces temps ci. Un auteur qui a écrit simulacre et simulation à forcément quelque chose à dire sur l'épisode hallucinatoire qu'on vient de vivre. En marge, je suis tombé là dessus

"Tout le monde se contamine réciproquement en toute saison. C'est un fait social total : le consensus activement recherché sur le plan des valeurs et de la morale est obtenu sans efforts pour la grâce des virus. Au lieu de la convivialité, la conviralité." Précisons tout de même que ce type écrit ça dans les années 90. Y a quelques temps, quoi !


Le virus est un cheval de Troie des innovations douteuses. Celles qu'on nous prépare va laisser pas mal de gens sur le carreau. Les conduites antidepressives risquent de fleurir. Et cette norme nouvellement acceptée va créer ses fleurs de négatif, mais j'ai bien peur que, comme pour mes deux patients, ça ne puisse pas se nommer. Et de macérer avec encore moins de contact humain va pas aider à nommer les choses.


 
 
 

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