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  • Le psy cause

Je suis de la pâte à modeler

Alors aujourd'hui pour réinventer la roue, j'ai envie de parler du transfert. C'est fou les rôles que les patients veulent me faire jouer.


Oh y a les gentiment névrosés d'abord. J'ai une patiente complètement phagocytée par son travail, qui devrait finir à 18h le soir et rentrer tranquillement chez elle mais qui n'a pas de limite et finit par rentrer souvent à 20h. L'autre jour, après qu'elle m'ai encore une fois décrit qu'elle se laisse déborder et culpabiliser si elle ne fait pas tout, j'ai fait un pas de coté sur mes réactions habituelles pour lui dire : "C'est quand même incroyable avec vous à quel point vous me mettez dans un rôle de syndicaliste à devoir beugler contre l'exploitation. C'est comme si vous n'aviez pas de limite avec le travail et que je venais jouer cette limite de l'extérieur." Ironie du sort, elle est RH ...

J'ai une autre patiente qui me donne l'impression, dans les réponses que je lui fait d'être un ermite de premier ordre (dans la réalité, je ne suis qu'un humble ermite de second ordre.). Mais mes réponses prenaient toujours la même direction. "C'est son problème, pas le votre non ?" "Qu'ils aillent se faire foutre, non ?" Enfin bref, je me sentais comme s'il fallait faire fi de tout lien. Là aussi, à force de mise en tension, j'ai fait un pas de coté et on a pu bosser sur sa volonté de liens où elle même disparait dans le besoin d'animer l'autre.

Il y a parfois des rôles que je rechigne plus à jouer. Ainsi de cette patiente qui arrive toujours avec ses 15 minutes de retard, avec la gueule de bois. Par solidarité, j'ai longtemps pris le parti de lui laisser ses 45 minutes inentamées, quitte à me mettre un peu en retard. Le tout en lui apportant un verre d'eau en début de séance, par solidarité avec la gueule de bois plus qu'avec elle. Elle avait même fini par aller directement dans la cuisine "pour me faire gagner du temps", disait elle. J'ai fini par la recadrer en disant qu'il fallait demander un verre, pas se servir. On en rigolait après tellement c'était artificiel. Mais on s'y est tenu. Et puis un jour où la gueule de bois me rendait probablement plus irascible, j'ai parlé ouvertement de ses 15 minutes de retard. En lui disant que je me posais la question de m'en tenir à une tranche horaire qu'elle userait comme bon lui semble mais qu'elle n'aurait pas une minute de plus. En ajoutant que c'était une tentation de fonctionner comme ca désormais, mais que ca servirait trop son envie de se faire punir, que du coup, on pourrait peut être parler de ca ? Enfin bref, ca a ouvert un champs de questions sur son rapport à la culpabilité. Là aussi, elle aurait voulu me mettre dans ce rôle.

Bon, jusque là on est dans des transferts assez classiques. Il se passe aussi parfois des choses où mon psychisme est mis à contribution de manière plus étrange.

Il y a quelques années maintenant, j'avais un patient au RSA remonté à bloc contre le monde. Les politiciens, le monde médiatique, les travailleurs sociaux, quelle bande de connard. Je savais tellement pas comment bosser avec lui que j'avais du en repasser par des choses que bannirait tout psychanalyste. On s'était même échangé des films, ce qui avait permis de le sortir un peu de sa rage et de le faire aborder autrement. Là où on lui avait tout pris, quelqu'un lui donnait quelque chose dans la réalité.

Et puis une fois, il était venu tout contenu dans sa rage au point de vouloir quitter la séance, en tempêtant, au bout de quelques minutes. De toute facon, rien en valait le coup. Il se lève et d'un coup je sens des larmes me monter aux yeux. Il me regarde, les voit et me dit qu'il faut pas que je me mette dans des états pareils pour lui et vient se rasseoir. La séance a pu continuer. Mais qu'est ce qu'il venait de se passer ? Franchement, il ne me touchait pas plus que ca, au sens où je ne crois pas que je m'identifiais à lui. Mais en revanche, que lui ne puisse aucunement nommer sa tristesse, qu'il la camoufle en rage et que d'un coup, dans un élan de confusion, mes larmes viennent jouer les siennes, celles qu'il ne peut faire couler, était un de ces moments qui venait montrer un de ses affects. On a pu ensuite parler un peu plus de la tristesse qui le rongeait. Mais je dois avouer qu'être une espèce de pâte à modeler psychique prend parfois des tournures étonnantes.

Dernièrement, j'ai eu une patiente qui me parlait d'un amour à elle parti à l'autre bout du monde avec sa copine. Oui, c'est un peu compliqué, mais ca arrive. Le mec parle évidemment de quitter sa nana sans le faire. Et ma patiente d'essayer de lui dire qu'elle ne sait plus où elle en est, si elle doit l'attendre, si elle doit passer à autre chose. Elle lui a même envoyé un sms pour mettre les choses au clair, mais le type est trop confortablement assis le cul entre deux chaises. Et en fin de séance, alors qu'elle n'a pas dit grand chose d'elle au final, alors qu'elle sort son chéquier, j'hallucine qu'elle sort un billet d'avion dans son emballage. Je m'étonne, lui en fait part, me demande à voix haute pourquoi ca me passe en tête et dit ce qui me vient. "En fait vous seriez même prête à lui payer son billet d'avion, vous avez très très envie qu'il vienne pour vous."

Alors je ne sais pas trop quoi penser de ces deux anecdotes. Dans les deux cas, il s'agit, de différentes manières, de patients verrouillés. Mais en tout cas, mon psychisme me fait l'économie de penser la situation, elle me place dans des vécus qui ne peuvent se manifester que par des processus primaires ou déliés. Une hallucination et une manifestation d'affect par le corps. J'ai aucune référence sur ce genre de manifestations où il y a confusion des affects entre deux sujets. Peut être qu'il faudrait que je lise des trucs sur le concept de chimère à deux têtes de De Muzan, que ca parle de ca. Mais en dehors de ce concept, je dois avouer que je prends ca comme une donnée clinique à exploiter, que je ne sais pas trop penser.


En fait les gens me payent pour que je sois de la pâte à modeler.

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