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  • Le psy cause

L'effondrement guette 

Dernière mise à jour : 23 juil. 2019

S'il y a bien une chose intéressante dans mon métier, c'est qu'il permet aussi d'aborder certains faits sociaux. Ainsi je reçois pas mal de gens dont le rapport a l'idéologie est assez marqué. Que ce soit une féministe tranchée ou bien du droitard bien réactionnaire.


Ca ne me dérange pas d'ailleurs, au sein du cabinet, j'ai l'esprit assez ouvert et des références de pensées assez éclectiques pour accueillir de tout. Et puis en tant que psy, il s'agit surtout de voir ce que ca vient soutenir dans le psychisme de la personne. La seule constante que je constate c'est que plus les gens ont eu un parcours de vie difficile moins ils ont tendance à être souples sur leurs positions.


Récemment j'ai été assez intrigué par deux patients qui a quelques semaines d'intervalles m'ont parlé de leur intérêt pour la collapsologie. Mais si vous savez, cette prospective autour de la fin de notre civilisation par épuisement des ressources et autres guerres civiles en découlant.


C'est assez décevant que ce soit la collapsologie qui déboule dans mon cabinet. Je voulais de l'allumé transhumaniste moi ! La fusion de l'homme et de la machine pendant que l'IA messianique prend enfin le contrôle de nos vies. Mais enfin bon, j'exerce à Paris, pas dans la sillicon valley. Donc pour moi ça sera la collapsologie.


Loin de moins l'idée de jauger de la valeur rationnelle de telles idées, je n'ai pas le niveau d'une part, ni ne me suis assez intéressé au sujet de l'autre. Ils ont même probablement raison pour une part. Je veux même bien croire aux initiatives louables qui veulent qu'on consomme sur des circuits courts, qu'on mange moins de viande etc. Le b.a.ba de l'écologie en somme. Tout en n'étant pas dupe que les solutions ne se régleront pas par les bonnes volontés individuelles d'une part et que nos marchands recycleront toutes les bonnes volontés pour transformer tout ça en nouvelle niche à exploiter.


Bon et alors, si je ne peux rien dire sur la réalité de ce qu'ils racontent, pourquoi en faire un post ? Pour le plaisir de l'elucubration déjà. Parce que je suis assez frappé aussi des similitudes chez ces deux patients. Je vais donc me laisser aller à de la réduction ad psychologicum sans frein.


Déjà au niveau de l'état d'esprit il y a le choc avant après. Au détour de youtube ils sont tombés une fois la dessus, puis une vidéo en entraînant une autre ils sont tombés des nues. Plus de ressources fossiles, la moitié des espèces qui disparaît en 50 ans, le réchauffement climatique... Les mauvaises nouvelles sont sous nos yeux et personne ne veut les voir. Dès lors les voilà partagés entre une demie dépressivité et un sentiment de lucidité.


Mais cette nouvelle connaissance a un caractère inéluctable qui n'est pas sans conséquence : de toute façon c'est foutu. C'est là que psychiquement les choses se gâtent. L'absence d'horizon qui se trouve dans ce courant donne au présent un côté amer des derniers jours. Peut être que pendant la guerre froide, quand une bombe H menaçait de fracasser la planète en deux au moindre caprice d'un homme de pouvoir, certains ressentaient un sentiment similaire. Devant l'imminence de la fin, l'immanence de l'instant. Jouissons tant qu'on peut.


Ce n'est toutefois pas sous cette forme que je le rencontre chez mes deux patients. Ce sont deux personnes assez jeunes, à la vie encore en construction et qui galèrent un peu parce que la vie a pas été tendre avec eux et qu'ils sont assez fragiles. Chez eux, ça a une coloration de soulagement l'effondrement. Qu'on s'entende : à un niveau conscient c'est bel et bien anxiogène hein, mais le moment où ils y pensent le plus c'est quand ils rencontrent des difficultés qu'ils jugent insurmontables dans la vie. Nietzsche disait que la pensée du suicide aide à passer bien de mauvaises nuits, chez eux c'est l'effondrement de la civilisation qui aide à passer bien de mauvaises nuits. Que tout s'effondre demain, c'est bien la preuve que ce sur quoi on échoue aujourd'hui ne valait finalement pas le coup.


Pour le dire autrement, ça a valeur de canaliser chez eux des moments dépressifs assez marqués dans des représentations culturelles d'apocalypse. Le serpent se mord la queue : ce genre de représentations permet de tenir à distance des affects morbides mais par effet rebond cultiver ce genre de thèmes chez eux les mortifie aussi.


Aucun des deux n'a franchi le pas, mais je me demande dans quelle mesure se retrouver avec des gens qui partagent ces préoccupations les soulageraient. Ruminer seul devant youtube et dans ses insomnies à un côté plus mortifere me semble t'il. Et j'ai espoir que les gens qu'ils rencontreraient dans des lieux associatifs ou autres leur donnerait des possibilités nouvelles. Mais bon, ils en sont pas là. Et l'autre hypothèse, c'est qu'ils tombent sur des survivalistes fous furieux qui les convertissent à l'achat d'un bunker et de 200 boîtes de fayots. Alors que franchement, se retrouver enfermé dans 20 mètres carrés avec des fayots pour seule nourriture me semble une punition pire que de mourir lors de l'effondrement de notre ère industrielle.

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