Je suis toujours étonné des formes que peut prendre la relation thérapeutique. A quel point le travail qu'on fait peut sembler invisible si l'on ne s'arrête pas dessus.
Prenons un exemple. Je pense à un patient qui me parle de ses inhibitions à parler en public. Il mentionne la fois à la cafétéria où il ne commence pas son anecdote parce que... Bah parce que l'appréhension l'envahit en même temps que la chaleur et le rugissement des joues. Sans compter les balbutiements , ça va de soi. Alors il dit une phrase et se plonge dans son mutisme. Ce qui est assez handicapant au quotidien.
C'est comme ça, selon lui, ça peut surgir n'importe quand. Et c'est tellement désagréable qu'il va essayer de ne plus s'exposer à ce genre de situations qui le met en défaut. Certes ca signifie ne plus trop avoir de vie sociale, mais que ne serait on pas prêt à sacrifier pour s'éviter son symptôme ?
Mais il a envie de changer ça ! Alors il vient *voir un psy, espérant que ça disparaisse. Je reprend avec lui l'exemple. Le dissèque, quels sont les enjeux ? La situation à ce côté informel qui rend plus risquée, du moins dans sa tête, la prise de parole. Il aurait moins de souci si c'était un rendez vous cadré.
Je lui demande de décliner d'autres situations, qu'on joue au jeu des sept différences, ou des sept points communs, si c'est le cas. Il me raconte que ce qui l'angoisse le plus c'est le métro le soir. Les gens sont dans des groupes, sans aucun rapport avec lui. Croiser le regard de l' un va l'amener à appréhender que tout le groupe qui le mettrait dans une position insoutenable de plein de pairs d'yeux braqués sur lui.
J'enclenche malgré moi mes turbines lacaniennes. Attention ce paragraphe pourrait à première vue ne pas avoir de sens. Sisi, c'est ça le jargon crypto lacannien. Ca défile dans ma tête. "En fait plus la situation est dénudée dans le symbolique plus l'objet regard, l'objet a, lui revient de l'extérieur. La dimension de jouissance est trop mal canalisée et ça le fait angoisser."
Et la on est au cœur du travail invisible, celui de la compréhension psychique de l'autre. J'ose pas lui demander s'il met un cache devant la caméra de son pc, mais ca me semble hautement probable.
Et ce qui me tue, c'est que je lui aurais restitué sous la forme la plus con du monde.
" En fait c'est l'Å“il de Sauron , votre affaire. Vous savez, cet Å“il qui scrute le modor dans le seigneur des anneaux ?"
La métaphore lui paraît assez juste, le fait rire un peu. Et moi je passe pour un branquignole qui fait son boulot de psy à base de citations du seigneur des anneaux. Alors qu'il s'en passe des choses dans ma tête ! Monde injuste.